Le métavers de Cao Fei n’est pas une échappatoire à la réalité

u Lenbachhaus de Munich, l’exposition de l’artiste bascule rapidement de l’utopie à la dystopie.

En descendant une rampe pour accéder à l’exposition de Cao Fei, « Méta-mentaire », mes yeux s’habituent à un espace saturé de rose chewing-gum et de bleu. À droite se trouve une gigantesque pieuvre gonflable (Asia One Octopus, 2024),un terrain de badminton et un grand écran en forme de téléphone portable diffusant le documentaire de Fei de 2022 sur le métavers, d’où l’exposition tire son nom. Quelques pas après la rampe, je m’allonge sur une plateforme recouverte de mousse pour regarder « Duotopia—1re édition » (2022) projeté sur un écran suspendu au plafond. On y voit Oz, l’avatar mi-humain mi-pieuvre de Fei, flottant devant un vaisseau mère. Allongée ici, j’ai l’impression d’être moi-même à bord d’un OVNI, une manifestation physique d’une utopie du métavers. Pourtant, en passant à la section suivante de l’exposition, un sentiment sombre et dystopique s’empare de cette vision acidulée.

La deuxième des quatre sections de l’exposition est consacrée aux œuvres réalisées pendant la pandémie. « Singapore Daily » (2020) montre la fille de Fei tentant d’échapper à la monotonie de la quarantaine. L’enfant danse, désinfecte des plantes et construit un faux climat à l’aide d’accessoires. En face, une installation comprend une tente, des chaises de camping et un grand écran de projection posé sur un sol en copeaux de bois. À l’intérieur de la tente, « Still Alive » (2023) montre la mère de Fei en deuil après avoir perdu son deuxième mari des suites du Covid. Sur le grand écran, on voit des adolescents traîner dans des parcs urbains (« A Holiday », 2022). Après avoir passé du temps dans le monde d’Oz, c’est un retour sobre à la réalité hors ligne, un rappel brutal qu’à l’époque où les écrans étaient notre seul mode de connexion, tout ce que nous voulions, c’était les laisser derrière nous.

La troisième section de l’exposition, consacrée au projet phare de Fei, « RMB City » (2007-2012), revient aux débuts d’internet, lorsque les plateformes numériques émergentes comme Second Life offraient de nouvelles façons de trouver et de former des communautés en ligne. Fei a développé son premier avatar, China Tracy, et « RMB City » sur Second Life en 2006, trois ans après la création de la plateforme. Au Lenbachhaus, les visiteurs peuvent interagir avec une réplique du monde virtuel original de Fei sur un ordinateur de bureau via « RMB City Openism Game » (2012) et regarder « i.Mirror » (2007), qui documente les rencontres de Tracy sur Second Life, y compris le fait d’être victime de catfishing tout en réfléchissant à l’amour, à l’intimité et à l’identité – des conversations qui résonnent encore près de deux décennies plus tard.

L’exposition se termine sur une utopie ratée, une vision de ce qui pourrait arriver au monde si les mises en garde concernant le développement n’étaient pas prises en compte ; lorsque les humains deviennent tellement piégés dans le cyberespace qu’ils ne remarquent pas que le monde qui les entoure s’effondre. Dans la vidéo « Nova » (2019), un scientifique travaillant au développement d’une machine à voyager dans le temps transforme accidentellement son fils en une âme numérique. Dans le documentaire fictif « MatryoshkaVerse » (2022), qui se déroule dans une ville située sur la Nouvelle Route de la Soie, des scientifiques étudient des poupées russes tombées du ciel et déterrées dans un paysage reculé. La scène ressemble à un site de fouilles archéologiques, avec des hôtels, des usines et un parc d’attractions récemment construits mais déjà abandonnés qui se profilent en arrière-plan.

Si une critique peut être faite à l’égard de ces œuvres, ou de la pratique de Fei en général, c’est qu’elles s’appuient sur la fiction au lieu de nommer explicitement les ramifications sociopolitiques distinctes des développements technologiques.Mais pour moi, cette évasion semble être exactement le but : plutôt que d’instiller la peur de la façon dont la technologie est de plus en plus utilisée pour surveiller les citoyens dans le pays natal de l’artiste, la Chine (ou à peu près partout ailleurs d’ailleurs), l’artiste pose des questions et les laisse ouvertes à la confrontation du public selon sa propre perspective. Alors que le monde continue d’évoluer, qu’est-ce qui nous fera tous arrêter et (ré)imaginer un avenir où la technologie – et les nouveaux corps et mondes qu’elle nous aide à créer – rapprochera les différentes cultures et régions du globe au lieu de nous diviser ?

 

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