- Comment une entreprise doit-elle aborder la thématique de la propriété intellectuelle dans le métavers ?
De manière pragmatique ! Les métavers (mondes virtuels) représentent des opportunités commerciales et publicitaires pour les entreprises de nombreux secteurs, lesquelles peuvent diversifier leur offre et toucher un nouveau public.
Loin d’être des univers parallèles, les métavers sont bien la continuité, voire parfois la représentation virtuelle en 3 dimensions de notre monde réel. L’on retrouve ainsi au sein de ces métavers, des mondes abritant des utilisateurs connectés simultanément, des entreprises et organisations proposant à la vente ou à la location des produits et/ou services virtuels. Dans ces mondes virtuels, il est ainsi possible d’acheter des produits ou des services virtuels (une paire de basket d’une marque américaine bien connue, assister à un concert / défilé de mode).
Univers aux multiples possibilités, ce nouveau monde est indéniablement devenu celui des affaires, prisé des grandes entreprises qui ont d’ores et déjà décidé de s’y installer.
Notre constat est que le métavers, composante du Web3, n’en est qu’à ses prémices. Vecteur de création, cet univers virtuel est voué à se développer. Le 28 octobre 2021, Mark Zuckerberg a annoncé une nouvelle identité du réseau Facebook et prédit le « commencement d’un nouveau chapitre pour l’internet ». Facebook, devenu Meta, est un exemple parfait d’une évolution des stratégies des entreprises vers ce nouvel environnement futuriste de « l’au-delà ».
C’est dans le même sens qu’en février 2022, la maison de luxe Gucci a annoncé sur son compte Twitter l’achat d’un terrain dans le métavers The Sandbox. Cette intrusion dans le Web3 n’est pas étonnante, trois mois avant, Nike avait également racheté une start-up de la mode digitale RTFKT. Si le montant de la transaction n’avait pas été révélé, cette opération s’inscrit dans le sillage de nombreuses opportunités saisies par l’équipementier sportif, de développer l’offre de ses produits aux mondes virtuels. Baskets ou sacs de luxe virtuels, etc… en redéfinissant notre conception de la consommation, le métavers est perçu comme une révolution du e-commerce. Des produits et services, généralement acquit sous la forme de NFT, ces jetons virtuels uniques et non-interchangeables, dont l’authenticité et la traçabilité est garantie via la blockchain.
Mais quid juris ? Le métavers serait-il un « no man’s land » juridique ? un monde dans lequel les préceptes du droit commun n’ont pas vocation à s’appliquer ? La question est large mais trouve un écho particulier en matière de propriété intellectuelle.
En matière de marque, quelle protection les titulaires de marques dans le monde réel peuvent-il revendiquer / rechercher pour protéger leur signe distinctif dans le métavers ? Se pose alors la question de l’opportunité d’une extension du champ de protection des marques visant des produits et/ou services réels vers des produits et/ou services virtuels. De même, comment concilier les principes de territorialité et de spécialité du droit des marques avec les spécificités du métavers ? A ce jour, nous sommes encore dans une phase de tâtonnement, ce qui rend encore l’exercice encore plus intéressant. D’une façon pragmatique, toute problématique de propriété intellectuelle dans un métavers devrait – selon nous – se résoudre de façon similaire à une problématique sur Internet. Nous n’imaginons pas à ce stade une marque visant comme territoire de protection un « métavers ». Le principe de territorialité du monde réel ne devrait pas être modifié, même pour protéger un service dans un monde « virtuel ». De même, nous ne croyons pas plus à un office « virtuel » de dépôt de marques, même s’il y a bien eu une tentative à cet égard.
- Quel droit s’applique-t-il à la vente d’un produit virtuel d’une marque ?
Le droit applicable à la vente d’un produit virtuel d’une marque devrait dépendre des conditions générales d’utilisation / de vente (CGV / CGU) du Métavers que l’utilisateur doit accepter en accédant dans l’univers virtuel. Comme pour n’importe quel achat, il convient donc de lire les conditions générales avant de contractualiser.
- Qu’advient-il des marques qui ne proposent que des produits et services axés sur le monde réel ? La même protection sera-t-elle applicable au métavers ?
Le métavers est déjà investi par plusieurs entreprises Le premier secteur à s’être installé en masse est d’abord celui de la mode. L’exemple le plus marquant étant la collaboration entre Adidas et l’entreprise de collectible NFT Bored Ape Yacht Club, consistant au lancement d’une collection de NFT intitulée « Into the Metaverse ». Cette association a eu pour effet d’attiser l’intérêt d’une nouvelle génération de consommateur pour la marque Adidas et a levé plus de 20 millions de dollars. Plusieurs lignes de vêtements numériques ont ensuite été proposées par les entreprises Uniqlo, Balenciaga sur les plateformes Fortnite ou Roblox. D’autres ont décidé de se servir des métavers pour accroitre leur visibilité en exhibant leurs enseignes sur des terrains virtuels. Cette stratégie de placement de marques a été arboré par Carrefour, Adidas sur The SandBox, ou encore Coca-cola qui s’est durablement installée sur la plateforme Decentraland. Des produits virtuels portés par les avatars des acquéreurs de NFT aux services commercialisés dans le métavers, ou encore des évènements organisés (concerts, fashion week, expositions), les métavers sont les lieux de tous les possibles.
Dès lors, le constat d’autant d’usages variés requiert la garantie d’une protection efficace de ces marques contre les usages non autorisés par des tiers.
Faute de réglementation applicable et considérant le « flou juridique » entourant la matière, il nous semble que la prudence – pour les marques intéressées à investir dans les métavers – serait d’effectuer des dépôts complémentaires de leurs marques pour viser des produits et/ou services virtuels. A défaut, celles-ci s’exposent à des fraudes ou à des utilisations illicites de leurs marques, dessins ou logos.
L’affaire « MetaBirkin » illustre parfaitement le cas d’une atteinte au droit de la propriété intellectuelle dans un métavers. La maison Hermès, qui n’avait pas pour priorité (à l’époque) de suivre la tendance des NFT et des métavers, a constaté la vente de la collection NFT « Meta Birkin » sur la marketplace OpenSea. Cette collection créée par l’artiste Mason Rothschild, représentait à l’identique sous forme de NFT, le sac iconique Birkin vendu par Hermès à plusieurs milliers d’euros. La société Hermès International a protesté contre cette vente en introduisant une action devant le tribunal fédéral de New York. Sa demande, fondée sur 7 chefs d’accusations dont celle de Trademark Infringement, donnera lieu au prononcé d’une décision sur le fond qu’il conviendra de décrypter avec attention.
En toute hypothèse, la maison Hermès devrait toujours pouvoir bénéficier de la renommée de sa marque qui lui confère une protection élargie à tous les produits et services, y compris différents de ceux qu’elle couvre, faisant ainsi exception au principe de spécialité. De ce fait, du fait de la renommée de sa marque, Hermès devrait – selon nous – pouvoir donc s’opposer à la vente de sacs virtuels dans le métavers.
A contrario et d’une manière générale, les marques qui ne sont ni notoires, ni de renommée, ne pourront pas bénéficier d’une telle protection, rendant en tout état de cause la pratique de dépôt d’une marque visant des produits et/ou services virtuels indispensable.
Ainsi, pour répondre plus spécifiquement à la question, il convient de faire une différence entre d’une part, les marques de renommée qui bénéficient d’une protection au-delà du principe de spécialité, c’est-à-dire d’une protection élargie même aux produits ou services qui ne sont pas visés au dépôt sous de démontrer que l’usage du signe postérieur litigieux tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu’il lui porte préjudice. Pour ces marques, l’extension de la protection à l’univers des métavers n’est pas obligatoire en principe. En pratique, nous la recommandons tout de même pour éviter ou simplifier les débats en cas de contentieux.
D’autre part, les marques classiques (le plus nombreuses) sont – quant à elles – soumises au principe de spécialité. Elles ne bénéficient ainsi d’une protection uniquement pour les produits ou services visés à leurs dépôts. Pour ces marques, un dépôt complémentaire visant les métavers / NFT nous semble indispensable. En l’absence d’un tel dépôt, les propriétaires des marques du monde réel pourraient toutefois, en cas d’atteinte à leur marque dans le métavers (et selon les cas d’espèce), envisager des actions sur le terrain de la concurrence déloyale, du parasitisme ou encore du droit d’auteur. Ces actions sont toutefois plus difficiles à mettre en œuvre ou plus aléatoires qu’une action classique en contrefaçon de marque.
- Pouvez-vous protéger légalement votre marque dans le métavers ? Comment obtenir la protection d’une marque dans le métavers ?
Oui – de la même façon que pour les produits et services du monde réel ! Comme n’importe quel dépôt, deux questions se posent au moment du dépôt d’une marque visant des produits ou services dans le monde virtuel (outre l’objet du dépôt – du signe à déposer).
D’abord, il convient de déterminer le territoire de protection. Force est de constater que le métavers n’est pas un territoire tangible. Dès lors, l’immatérialité de cet univers semble difficile à concilier avec le principe de territorialité du droit des marques. Faute d’office protégeant un monde virtuel, quel office convient-il de choisir dans le monde réel pour protéger une marque visant des produits ou services disponibles dans le métavers ?
A ce jour, on constate que plusieurs dépôts des marques présentes dans le métavers n’ont pas tardé à être observés aux Etats-Unis. Le 27 octobre 2021, Nike a ainsi déposé son dossier de dépôt des 7 marques visant à être déployées dans le Web.3. Nike n’est pas la seule entreprise à vouloir étendre le spectre de sa protection, la société Hermès Internationale qui avait exprimé sa réticence aux technologies métavers et NFT, a finalement reconsidéré sa position. C’est en tout cas ce que tend à supposer la nouvelle demande de dépôt en date du 26 août 2022 pour les classes 9, 35, 36 et 42. Outre les entreprises du secteur de la mode, les clubs sportifs se démarquent également par cette pratique à l’instar du club de football Paris Saint Germain qui a procédé au dépôt de la marque « PARIS SAINT GERMAIN » auprès de l’USTPO en mars dernier. Si de nombreux dépôts ont été faits aux Etats-Unis pour les raisons exposées en amont, des dépôts similaires ont également eu lieu auprès d’autres offices, dont l’EUIPO.
En pratique, nous recommandons – à l’image des marques couvrant des produits et services du monde réel – de choisir des juridictions / pays dans lesquels les titulaires ont leur business pour déposer des marques pour désigner des produits et services dans le métavers.
L’autre question fondamentale est le choix des classes visées par ces demandes de dépôt de marques pour des produits et services du métavers. Il faut s’assurer que la protection dont dispose les entreprises leur permette de commercialiser leurs produits et services et de lutter contre la contrefaçon dans les métavers.
A cet égard, les marques sont soumises au principe de spécialité, lequel exige que la demande d’enregistrement de la marque établisse « l’énumération des produits ou services auxquels elles s’applique, ainsi que l’énumération des classes correspondantes conformément aux dispositions de l’article R. 711-3-1 ; (…) ». Il apparaît indispensable pour ces entreprises de ne pas délaisser leur stratégie IP et d’identifier avec précision les classes permettant l’élargissement de la protection aux produits et services encrés dans les métavers. La classification internationale étant composée de 45 catégories (34 pour les produits et 11 pour les services), 3 ont été identifiées comme les plus utilisées par les entreprises et permettant une protection spécifique destinée aux métavers. Les classes sont les suivantes – la classe 9 pour les produits virtuels téléchargeables, 35 relative aux services de magasins de vente au détails concernant des produits virtuels et 41 comprenant les services de divertissements.
- Mais comment demander la protection de votre marque pour une paire de basket numérique ? un sac virtuel ? Quels types de produits et services sont appropriés ? Quelles sont les bonnes classifications ?
Comme indiqué ci-avant, le choix de la classe est fondamental. A cet égard, l’EUIPO (l’Office des marques de l’UE) a récemment publié des recommandations quant au choix de la classe à opter lors du dépôt d’une marque désignant des produits virtuels, des jetons non fongibles (NFTs) et d’autres produits présentés dans des métavers .
Compte tenu de l’augmentation des demandes contenant des termes relatifs aux biens virtuels et aux NFTs, les clarifications de l’EUIPO vont simplifier la charge des demandeurs dans leur choix des classes à demander et dans la description à adopter. D’expérience, les conseils de l’EUIPO sur ce sujet sont plus que bienvenus pour éviter un processus hasardeux, car les termes jetons non fongibles et NFT n’étaient jusqu’à présents pas considérés comme acceptables par l’EUIPO et ont entrainé de nombreux refus de sa part.
L’EUIPO confirme tout particulièrement que la classe 9 est appropriée pour les biens virtuels « parce qu’ils sont traités comme des contenus ou des images numériques. Toutefois, le terme « produits virtuels » en lui-même manque de clarté et de précision, de sorte qu’il convient de préciser davantage le contenu auquel les produits virtuels se rapportent. Ainsi, pour protéger une paire de basket numérique ou un sac virtuel, il faudra choisir la classe 9 et indiquer comme libellé « produit virtuel téléchargeable, à savoir chaussures de sport virtuelles » ou « produit virtuel téléchargeable, à savoir sacs à main ou articles de maroquinerie virtuels ».
L’EUIPO précise également que la 12ème Edition de la classification de Nice modifiera la liste des produits couverts par la Classe 9 pour inclure le terme « fichiers numériques téléchargeables authentifiés par des jetons non fongibles ». Il convient également de noter que l’EUIPO insiste sur le fait que le type d’article numérique authentifié par le NFT doit être spécifié dans la Classe 9, car le NFT fait uniquement office de certificat d’authenticité pour ces articles.
- Comment vérifier si une marque est déposée pour le métavers ?
De la même manière que pour les marques désignant des produits ou services du monde réel. Le plus simple est de consulter les bases de données en ligne des différents offices (INPI pour les marques françaises, EUIPO pour les marques de l’UE, USPTO pour les marques US) et vérifier si le signe qui vous intéresse a été (re)déposé ou a fait l’objet d’un dépôt complémentaire en classe 9, 35 ou encore 41 pour des produits ou services virtuels.
- Quelles bonnes pratiques recommandez-vous d’adopter ?
Si les métavers et plus largement le Web3 se situent toujours dans un certain « flou juridique », le constat est qu’ils sont vecteurs de transformation de l’économie. Ainsi, tous les pans du droit en seront impactés et plus particulièrement la propriété intellectuelle qui ne cesse d’évoluer au gré des innovations technologiques. Dès lors, les acteurs souhaitant s’y installer devront penser à appliquer une solide stratégie de protection de leurs de droits de propriété intellectuelle. Face à une génération de consommateurs de plus en plus exigeante, il conviendra de garantir l’équilibre entre attractivité et protection. Entre dépôt de marques, instauration de licences d’exploitation et rédaction de conditions générales d’utilisation appropriées, les enjeux sont grands pour s’adapter à l’économie de demain.
A ce jour, outre l’agilité nécessaire et l’importance de ne pas louper le virage du métavers pour les entreprises, il convient toutefois de conserver en mémoire que tous les métavers sont d’abord fondés sur le droit des obligations et les contrats entre les éditeurs de métavers et leurs clients / utilisateurs. La bonne pratique (et la base !) pour une entreprise souhaitant investir le métavers sera donc de bien analyser les conditions générales de la plateforme visée afin d’avoir une vision globale de ses droits et obligations et – le cas échéant – connaitre les risques juridiques ou les zones de « flou juridique » entourant leur utilisation. Ces entreprises seront alors en mesure d’agir en toute connaissance de cause et d’anticiper des réponses appropriées à chacun des éventuels risques juridiques identifiés.
Clément Monnet, avocat à la Cour, Norton Rose Fulbright LLP