Les métavers introduisent la propriété et la rareté sur l’internet pour la première fois de son histoire. Ils génèrent déjà des milliards de dollars de transactions, mais le risque est qu’ils deviennent un club exclusivement réservé aux riches.
Gaz, électricité, papier… Les prix de tout s’envolent. Mais ce n’est rien comparé à ce qui se passe dans le métavers, lieu d’une multitude de nouveaux univers virtuels et immersifs, peuplés d’avatars en 3D.
Dans The Sandbox, un métavers lancé en 2012 par deux Français et soutenu par le conglomérat japonais Softbank, les prix des terrains virtuels (il en existe plus de 166 000 sur la plateforme) rivalisent avec les prix de l’immobilier à Paris, Londres ou Hong Kong. Un utilisateur nommé « EnzoFar » a récemment mis son terrain en vente… pour 66 666 Ethers (une des principales crypto-monnaies, avec le Bitcoin), soit plus de 227 millions de dollars au taux de change actuel.D’autres ont fait encore mieux. Depuis leur création par quatre amis en 2021, les 10 000 singes virtuels uniques du Bored Ape Yacht Club ont généré l’équivalent de 1,5 milliard de dollars de transactions. Justin Bieber, Paris Hilton, Snoop Dogg et Eminem ont tous succombé à l’engouement et acheté leur propre singe.
L’année dernière, l’un des singes a été vendu 3,4 millions de dollars lors d’une vente chez Sotheby’s. Les métavers ne seraient-ils donc qu’un « club de riches », réservé à une élite d’internautes fortunés ? Il est en tout cas devenu la nouvelle priorité stratégique de Facebook (devenu Meta) et de Microsoft.
La fin de l’Internet libre
Cette question mérite d’être posée car le métavers introduit deux concepts qui n’existent pas encore sur l’Internet : la rareté et la propriété. Dans le métavers, les utilisateurs peuvent jouer à des jeux vidéo, participer à des réunions de travail en tant qu’avatars, visiter un musée virtuel, assister à des « concerts ». Les Sims (2000) et Second Life (2003) peuvent être considérés comme les premières formes de métaverses.Dans les métaverses d’aujourd’hui, la nouveauté réside dans la possibilité de posséder des biens virtuels, qui peuvent être achetés ou vendus sur des plateformes telles qu’OpenSea. Ces biens sont les fameux NFT, les « jetons non fongibles », qui permettent de certifier la propriété et l’unicité des objets virtuels.
Or, jusqu’à présent, sur Internet, la propriété n’existait pas. Les « skins », que l’on peut acheter dans le jeu vidéo Fortnite pour habiller les personnages, sont spécifiques à ce seul jeu et ne peuvent être utilisés nulle part ailleurs. De la même manière, les utilisateurs de Spotify ne possèdent aucune chanson : ils paient des droits d’accès par le biais d’un abonnement. Google et Facebook expérimentent également un système d’abonnement, mais restent largement gratuits. La monétisation se fait par l’exploitation des données personnelles et la publicité ciblée.
» Les métavers marquent la fin de l’Internet gratuit « , estime Joël Hazan, associé chez BGC. « De la même manière que nous ne pouvons pas accéder gratuitement à un musée dans la vie réelle, cela ne sera pas possible non plus dans les métavers ».
Bien sûr, tous les NFT ne se sont pas envolés autant que le Bored Ape. Dans Decentraland, un autre métavers créé en 2015, les objets les plus courants pour personnaliser les avatars – à savoir les oreilles de lapin ou les ailes d’ange – sont vendus pour un mana ou moins, ce qui représente 2,81 dollars. Les marques peuvent également fidéliser leurs clients en leur offrant des NFT. Mais en général, les expériences entièrement gratuites seront limitées.
» Aujourd’hui, le métavers est un club de riches, il consomme beaucoup d’argent « , estime Luc Jodet. Il est le cofondateur d’Arianee, un protocole blockchain qui permet d’authentifier les produits de luxe et de mode. « Les Bored Ape vont de pair avec les Lamborghini. Pour tout un tas de gens, les NFT sont un signe visible de richesse et pas seulement un produit spéculatif. »
Il faut séduire le grand public
Le monde du luxe a rapidement compris l’intérêt des métavers. Pour les grandes entreprises, c’est l’occasion d’engager la génération Z, qui passe plus de temps à jouer à des jeux vidéo qu’à utiliser les médias sociaux. La semaine dernière, 70 marques, de Dolce & Gabbana à Etro, ont participé à la toute première « Metavers Fashion Week » sur Decentraland. Au programme : défilés de mode d’avatars, lancement de collections NFT et ouverture de « boutiques ». Le tout s’est déroulé dans un « Fashion District » inspiré de la véritable avenue Montaigne à Paris.
« Si le métavers reste un club pour les riches, il ne fonctionnera pas. Il doit s’adresser au grand public », explique Luc Jodet, d’Arianee. « Pouvoir posséder des biens sur Internet est une révolution majeure, il serait dommage de la limiter uniquement à une infime partie de la population qui peut acheter des NFT.
Une meilleure répartition des richesses dans les métavers servirait de bon sujet de campagne pour la prochaine élection présidentielle française. Et peut-être un nouveau domaine à réglementer pour Bruxelles.