Le roman de science-fiction de Neal Stephenson paru en 1992, Snow Crash, a été le pionnier du concept de « métavers », un terrain de jeu en réalité virtuelle où tout est possible. Dans le métavers de Stephenson, les humains vivent dans des mondes fantastiques avec des capacités surhumaines dépassant de loin celles de leur homologue dans le monde réel.
En 2023, les progrès technologiques réalisés par des géants de l’industrie tels que Meta, Amazon, Google et Microsoft, rapprochent la vision de Stephenson de la réalité plus que de la fiction.
Préoccupé par les abus potentiels, Omer Aamir, ancien chercheur à l’O’Neil Institute for National and Global Health Law, soutient qu’il faut mettre en place des garde-fous réglementaires créatifs avant l’adoption généralisée du métavers. Il avertit que sans protection de la vie privée virtuelle contre l’utilisation abusive des données biométriques, les activités criminelles et les fraudes financières, les utilisateurs du métavers seront confrontés à de graves dangers dans la vie réelle.
Aamir décrit le métavers comme un « environnement décentralisé » axé sur la propriété d’actifs numériques. Il rapporte que dans le métavers, des communautés virtuelles et des individus interconnectés, représentés par des avatars virtuels, peuvent « développer leur carrière, socialiser, se divertir, faire du commerce et même échanger des biens virtuels ». Selon Aamir, les communautés virtuelles du métavers existent parallèlement à la vie réelle et restent accessibles depuis n’importe quel endroit grâce à des appareils tels que les smartphones et les casques de réalité virtuelle. Aamir affirme que les applications pratiques du métavers sont vastes, allant de la thérapie virtuelle à la chirurgie à distance, en passant par le divertissement et l’éducation.
Cependant, Aamir soutient que le métavers pose des défis réglementaires uniques en raison de son absence de frontières physiques. Des utilisateurs situés aux États-Unis, au Japon et en Inde peuvent tous interagir dans un seul espace virtuel régi par l’Union européenne. Les utilisateurs restent physiquement ailleurs, mais sont contraints par la législation locale de leur pays respectif. Aamir signale également qu’il existe des systèmes de gouvernance différents sur les plateformes virtuelles. Certains mondes virtuels sont contrôlés par un développeur centralisé, tandis que d’autres utilisent des systèmes démocratiques autogérés. Aamir rapporte que les entreprises technologiques telles que Google et Apple, qui proposent toutes deux du matériel de réalité virtuelle, ont également des codes de conduite différents.
Aamir soutient que les décideurs politiques doivent déterminer une source commune d’autorité juridique pour surmonter la nature non physique du métavers. Il avertit qu’à mesure que le métavers se développera, les crimes tels que l’usurpation d’identité, la fraude et le commerce d’articles illicites deviendront plus sophistiqués, surtout en l’absence de systèmes de police universels. Il rapporte que bon nombre des problèmes associés aux cryptomonnaies, tels que la dévaluation des actifs, le vol et l’utilisation de fonds pour financer le terrorisme, menaceront les utilisateurs du métavers. Selon Aamir, le simple ajout de modérateurs de contenu ne constitue pas une solution suffisante ; les régulateurs doivent donc se tourner vers d’autres options plus créatives.
Aamir avertit également que les législateurs doivent mettre en place des protections des utilisateurs contre les annonceurs prédateurs qui exploitent les données biométriques. Il rapporte que le matériel de réalité virtuelle est capable de lire le rythme cardiaque, la température corporelle, la dilatation des pupilles et d’autres réponses physiologiques. Les entreprises technologiques, selon Aamir, enregistrent ces données et les vendent à des sociétés telles que Nike, Ford, Louis Vuitton, Zara et d’autres pour les utiliser dans la publicité de leurs produits. L’entreprise établit ensuite une cartographie des données biométriques pour créer des profils psychographiques biométriques individuels pour chaque utilisateur, garantissant ainsi des taux d’engagement plus élevés. Sans réglementation, avertit Aamir, des contenus et des publicités parfaitement adaptés aux mouvements physiologiques inconscients entraîneront de graves problèmes de dépendance chez les utilisateurs.
Aamir souligne à nouveau que la nature du métavers rend difficile la réglementation efficace de la publicité biométrique. Il soutient que les décideurs politiques doivent élargir leur compréhension du métavers et réorganiser les efforts de protection actuels. Selon Aamir, le Règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Union européenne et plusieurs États américains ont tenté, avec un succès limité, de protéger les données biométriques afin de contrer les annonceurs prédateurs. La législation du Delaware, par exemple, protège
étroitement les données biométriques collectées à partir de « mesures ou analyses des caractéristiques du corps humain à des fins d’authentification ».
Aamir avertit cependant que la législation du Delaware, et d’autres du même genre, ne parvient pas à anticiper la véritable portée du métavers. En réalité virtuelle, de nombreuses catégories abstraites de données sont collectées par la technologie immersive, allant au-delà des caractéristiques physiques. Par exemple, la loi du Delaware protège les motifs iriens, mais néglige les habitudes qui sont tout aussi vulnérables aux abus. De plus, selon Aamir, la législation du Delaware se concentre uniquement sur les données utilisées à des « fins d’authentification », ce qui laisse une importante faille aux annonceurs qui peuvent stocker des données relatives aux intérêts ou aux motivations non utilisées pour l’authentification.
Aamir rapporte également que certaines caractéristiques du métavers vont à l’encontre des principes fondamentaux du RGPD. Le RGPD exige que les utilisateurs conservent le droit d’effacer leurs données personnelles lorsque la collecte ou l’utilisation de ces données n’est plus nécessaire. Les jetons non fongibles (NFT), un système qui enregistre les actifs numériques de manière permanente afin d’en conserver la propriété et la valeur, ne peuvent se conformer aux exigences du RGPD sans en miner la fonctionnalité principale. Encore une fois, Aamir soutient que les décideurs politiques doivent repenser leur approche de la réglementation s’ils espèrent réussir.
Bien qu’Aamir critique les utilisations abusives potentielles du métavers, il reste convaincu que ses avantages valent la peine d’être poursuivis. Il soutient que l’apprentissage en réalité virtuelle rendra l’éducation plus accessible, plus durable et plus efficace, et fournira de nouvelles sources de revenus aux entrepreneurs qui n’ont pas accès aux banques traditionnelles. Tant que les régulateurs sont prêts à réfléchir de manière globale à la réglementation de la réalité virtuelle, Aamir semble prudemment optimiste quant au fait que cette technologie sera globalement bénéfique pour l’humanité.